Sud-Ouest Publié le 28/01/2014 par Thierry Dumas
Michel Malbec, atteint de deux cancers, a participé aux essais de Mururoa en 1966
Près d’un demi-siècle plus tard, le Sarladais Michel Malbec prend le stylo et un bout de papier pour faire le croquis. « C’est pour que vous compreniez bien. Cela ressemble à un bouchon de champagne. »
À 68 ans, le retraité des essais nucléaires de Mururoa (au sud-est de Tahiti) en 1966 a le goût du détail, s’applique pour l’orthographe du nom des bateaux voguant sur le Pacifique, précise le sens des vents dominants, situe la base où se déroulait l’explosion atomique et ajoute la distance de sécurité entre celle-ci et les militaires. Il avait 20 ans.
« Officiellement, nos bateaux étaient à 150-200 kilomètres de l’explosion, mais, de sources sûres, il s’avère que c’était plutôt 40 kilomètres environ. Nous devions suivre la progression du nuage radioactif. À l’époque, on était mal informés des risques liés aux radiations, je dirais même qu’on était désinformés. On nous disait juste de ne pas regarder la boule de feu sous peine de devenir aveugles. Donc on tournait le dos. On nous avait présenté notre mission là-bas comme le paradis, ce fut l’enfer. »
Michel travaillait à la transmission radiotélégraphiste (« transmettre les messages du commandant vers l’amiral »), qui n’était pas le poste le plus exposé. « Rien à voir avec les agents de sûreté nucléaire, qui prenaient les mesures atomiques. » Il évoque le problème des pluies qui croisaient le nuage de la peur, se chargeaient en éléments radioactifs et retombaient sur les bateaux « pour les contaminer ». En 1968, il quitte la marine et passe six mois en sanatorium pour soigner une tuberculose pulmonaire, « sans que je fasse le lien avec mon activité à Mururoa », précise-t-il.
En 2004, il intègre l’Association des vétérans des essais nucléaires (Aven), où ses problèmes dermatologiques (psoriasis), capillaires (perte de cheveux) et auditifs (acouphènes) ne pèsent pas lourd face à ceux de certains membres atteints de maladies radio-induites. En mai 2009, souffrant de troubles digestifs, il passe un scanner qui détecte « une tumeur de 33 centimètres de diamètre dans une partie de l’abdomen » : cancer de l’estomac. Une fois celle-ci opérée, le combat du Sarladais pour être indemnisé commence.
En août 2010, son avocat présente son dossier auprès du Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (Civen). Sans succès. « J’ai pris un coup sur la tête. On m’a dit que je n’avais pas été assez irradié pour prétendre à une indemnisation. Sur 850 dossiers en quatre ans, seuls 12 cas y ont eu droit… Il faut dire que le Civen se base sur un logiciel américain qui est complètement inadapté au cas de nombreuses victimes. »
Refusant d’abandonner, Michel et son avocat ont ensuite déposé un recours auprès du tribunal administratif de Bordeaux, qui leur a donné raison le 17 décembre. « On n’y croyait pas vraiment, insiste-t-il. Le ministère public doit donc me faire une offre d’indemnisation, à moins qu’il ne fasse appel d’ici la mi-mars. »
Entre-temps, un deuxième cancer, du côlon, s’est déclaré. Michel, entré ce matin à la clinique Francheville de Périgueux, se fera enlever demain un polype de 9 centimètres. « Pour autant, je ne regrette pas mon choix d’être entré dans la marine à 16 ans et demi. J’étais passionné de radio, mais ma mère n’avait pas les moyens de me payer une école privée à Bordeaux. Tout ce que j’attends désormais, c’est que cette injustice soit réparée. Les médailles et décorations, j’en ai, mais ce n’est pas suffisant. »