La Montagne aux Expériences

Le Taourirt Tan Afella - In Eker

L'accident Béryl du 1er Mai 1962


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Chapitre 2.2 - Récit du Capitaine Maurice Clavert

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Sommaire du Chapitre 2.2 - Récit du Capitaine Maurice Clavert

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Chapitre 2.2 - Récit du Capitaine Maurice Clavert



Un texte que nous à confié la Veuve de Capitaine Clavert


Citation :


Compte rendu du Capitaine CLAVERT
Commandant le Service de Décontamination
Rédigé le 1 mai 1962 lors du tir BERYL


Devenu Colonel, il est décédé il y a 10 ans. (1997 ? Le post dans le Forum date de 2007)
Sa veuve et ses enfants attribuent ce décès à sa contamination lors de sa présence sur le site de IN EKER
EXPÉRIMENTATION BERYL : 1er MAI 1962

1ère EXPLOSION NUCLÉAIRE SOUTERRAINE FRANÇAISE

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I / ORGANISATION

La chambre d’explosion avait été creusée à l’intérieur d’une colline de granit d’une hauteur d’environ 200 m et située à environ 50 km NORD du village d’IN-ECKER.
Cette chambre sphérique avait été réalisée au moyen de marteaux piqueurs en partant d’une galerie ouverte sur le flanc EST de la colline en s’enfonçant pratiquement au cœur de celle-ci.
Tous les débris rejetés à l’extérieur de la galerie constituaient un véritable carreau de mine sur lequel furent installés différents appareils électroniques de retransmission et de mesures, ainsi que des groupes électrogènes à moteur diesel pour fournir l’énergie nécessaire à l’amorçage de la bombe et au fonctionnement des divers appareils de mesure :

A la fin des travaux de terrassement et en vue de fermer l’entrée de la galerie, des doubles portes blindées furent mises en place et scellées dans le granit. Une multitude de sacs remplis de sable fut préparée afin de renforcer l’étanchéité des portes blindées après la mise en place de la bombe avant le tir. Le PC opérationnel du GŒN (Groupement Opérationnel des Expérimentations Nucléaires) fut installé sur un petit éperon face au " carreau de mine " à 2,5 km EST.

Il comprenait trois shelters aménagés, dont l’un équipé de voyants lumineux, pour permettre le contrôle des différentes opérations avant la mise de feu et de la clé de contact pour déclencher l’explosion. Un second shelter regroupait tous les moyens de transmission nécessaires ; quant au troisième, réservé aux expérimentateurs et spectateurs, il était équipé d’un poste de télévision.

Sur le PC opérationnel qui avait un air de fête, régnait la bonne humeur, chacun étant optimiste.

Près du PC opérationnel, et sur un secteur de 180° de 2,5 km de rayon ayant pour centre la chambre d’explosion, étaient installés à intervalles réguliers cinq postes d’observation du nuage équipés de TS (Télescope ?) et de cinéthéodolites servis par du personnel du contingent du 620ème GAS - Groupe des Armes Spéciales - appartenant à la Batterie Mobile de Détection / Décontamination (BMDD) que j’avais l’honneur de commander.

La section de décontamination mobile de la BMDD se tenait prête à intervenir d’une position d’attente située à 5 km SUD-EST de la chambre d’explosion, en bordure de la route goudronnée menant à la base vie d’IN-AMGUEL.

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II / DÉROULEMENT

Les sondages et les prévisions météorologiques s’annonçant favorables dans la nuit du 1er au 2 MAI 1962, ordre fut donné d’exécuter les derniers préparatifs avant le levé du jour, l’heure ‘H’ étant en principe fixée à 7h00 TU.

Les dernières équipes d’expérimentateurs rejoignirent le GŒN vers 6h45 puis on entra dans la phase active qui dura près d’une demi-heure.

L’explosion déclenchée par le Général THIRY commandant le GŒN se produisit à 7h20.

DESCRIPTION DE L’EXPLOSION

Sous l’effet de l’onde de choc, les flancs de la montagne se mirent à moutonner suivant différents niveaux caractéristiques. Ces moutonnements étaient dus à la propagation de l’onde de choc qui détachait des poussières des flancs de la colline.

En même temps, sur le PC opérationnel, le sol se mit à trembler, semblant se dérouler sous nos pieds pendant quelques secondes.
Alors que chacun s’affairait et observait, un nuage de couleur blanche violette apparut soudain à l’entrée de la galerie. Sa belle couleur initiale, due à la présence d’éléments radioactifs à base d’iode, de courte période, s’assombrit rapidement à cause des poussières qu’il entraînait. Le nuage devînt très vite noirâtre car se mêlèrent des fumées provenant de la combustion du gazole des groupes électrogènes provoqué par le flux thermique.
Les portes blindées obturant l’entrée de la galerie avaient cédé. L’apparition de ce nuage inattendu était due à une sous-estimation de la puissance de la bombe qui, au lieu de 20 KT faisait en fait près de 50 KT.

Cet incident matérialisa l’ensemble des effets dynamiques, thermiques et radioactifs et devant un tel exploit, chacun resta stupéfait !

En atmosphère libre, le nuage se développa rapidement, et poussé par le vent, progressa en direction du PC / GŒN.

Tout le monde pensait que le nuage éviterait le PC opérationnel, aussi aucune mesure préventive de protection ne fut-elle prise.
Mais, après dix minutes d’attente, il fallut bien se rendre à l’évidence : le nuage de poussières radioactives maintenant sa direction, s’approchait dangereusement du PC / GŒN.
L’ordre de repli de tous les personnels fut donné au dernier moment et on assista à une véritable panique : tout le monde se ruait sur son véhicule afin de partir au plus vite, de sorte que le centre de transmission fut évacué avant qu’aucun ordre n’ait été transmis aux équipes disséminées sur le terrain. Il faut dire que tous les personnels du PC / opérationnel, excepté ceux de la BMDD du 620ème GAS, ne disposaient pas de moyens de protection contre la radioactivité.

L’accès du PC opérationnel n’était possible que par une seule piste, si bien que le départ des personnels en catastrophe produisit un embouteillage monstre, alors que la nuage radioactif qui s’étendait sur un front d’environ 800 m en progressant toujours dans la même direction, recouvrait et obscurcissait le PC et la piste d’accès. On se serait cru dans les ténèbres et il fallut allumer les phares des véhicules. Bien que l’opacité s’intensifiât avec les poussières soulevées par les véhicules en mouvement, par miracle, il ne se produisit pas d’accident.

Pendant ce temps là, la section mobile de décontamination de la BMDD qui observait le développement du nuage, quitta sa position avant d’être atteinte par la frange du nuage radioactif. Les personnels, entraînés et protégés par leurs tenues de protection ne recevant pas d’ordre par radio, avaient alors pris l’initiative de se replier en zone saine afin d’installer un poste de contrôle radiologique en bordure de la piste, afin d’intercepter tous les véhicules en provenance de la zone des retombées. Avec ses radiamètres DOM 410, elle mesure l’intensité de la radioactivité sur les visages, les cheveux, les mains et les vêtements des conducteurs et passagers des véhicules.

Ce premier contrôle sommaire, au lieu de rassurer les personnels en cause, ne fit qu’accroître leur inquiétude car ils réalisèrent soudain le danger auquel ils étaient exposés.

Sur les vingt kilomètres de la route goudronnée menant à la base vie une véritable course automobile s’était engagée : chacun n’avait qu’une hâte, rejoindre la base. La chaleur aidant, les véhicules malmenés ne tardèrent pas à tomber en panne pour cause de " vapor-lock ". Certains équipages abandonnèrent leurs véhicules : ils partirent en courant sur la route malgré la chaleur, mais se ravisant, ils firent de l’auto-stop. D’autres, qui avaient mis leurs ANP (Appareil Normal de Protection, à cartouche filtrante) avec précipitation sans les ajuster, éprouvèrent une gêne respiratoire et des maux de tête intolérables si bien qu’ils jetèrent leur masque n’importe où.

Cette véritable débandade fit que les premiers éléments du PC opérationnel n’atteignirent l’entrée de la base vie qu’une heure après que fut donnée l’ordre de repli.

La Base Vie, malgré les faibles moyens dont elle disposait, avait réussi tout de même à installer un poste de contrôle à son entrée. Tous les personnels en provenant du terrain furent soumis à un contrôle radiologique puis dirigé sur les douches de décontamination. Mais, le service de santé de l’Infirmerie Hôpital de la Base Vie ne disposait en tout et pour tout que de trois pommes de douche pour décontaminer environ 250 personnes (!) porteuses de poussières radioactives de l’ordre de 10 à 20 rœntgen.

La section mobile de décontamination de la BMDD put enfin, après son repli, s’installer à 1 km de l’entrée de la Base Vie et fut en état de fonctionner près de deux heures après l’heure ‘H’ du tir car elle dut régler des problèmes de ravitaillement en eau et s’approvisionner en vêtements de rechange.

Toutefois, la contamination de toutes les personnes s’acheva vers 13h00. Tous les personnels, quels que soient leurs fonctions ou leurs grades se soumirent de bon gré à toutes ces opérations et l’on vit Ministre, Généraux et Gradés équipés en 2ème classe pendant un certain temps.
Ils ne disposaient pour tout vêtement que d’une chemisette et d’un pantalon de toile !

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Commentaires


Je n'ai pas grand chose à y ajouter, sinon que j'y étais, comme le brigadier-chef Fernand Segonds, qui y fait allusion dans un de ses rares posts.

On peut relever cependant quelques inexactitudes dans le témoignage du Capitaine Maurice Clavert.

Tout d'abord, le site des explosions n'est pas situé à environ 50 km NORD du village d’IN-ECKER, mais du village d'IN AMGUEL. Il n'y a pas de village à In Eker, juste un Bordj tenu par la Gendarmerie prévôtale, la Prévauté.

En fait, il s'agissait de la seconde explosion nucléaire souterraine française , à In Eker, le 1er Mai 1962, après le tir Agate, la première explosion nucléaire souterraine française du 7 Novembre 1961 qui s'était déroulé dans le plus grand secret et avait été parfaitement contenue.

La "colline" de 200 mètres était en fait une montagne de granit appelée Taourirt Tan Afella située à proximité d’In Eker, à 150 km au nord de Tamanrasset (Fort Laperrine), au CEMO (Centre d’Expérimentations Militaires des Oasis).

Le massif, en bordure de la Nationale 1, a un pourtour de 40 km environ et se situe entre 1500 et 2000 m d’altitude, le plateau environnant étant à presque 1000 m d’altitude. Le sommet, qui atteint 2079 mètres d'après une des cartes en ma possession était donc situé à plus de 1000 m au dessus du plateau.

Autre incertitude : l'heure du tir, qui semble être plutôt 10H00, et non 7H00, qui est l'heure de début de la mission de la BMDD.

Le 1er Mai, c'est le jour de la fête du travail, jour de repos pour tout le monde, en principe... Mais pour nous, ce ne fut pas de tout repos !

Pourquoi n'y a-t'il pas d'ordre de repli ? Parce qu'il n'y avait plus personne au P.C. de tir pour donner un ordre !
Notre téléphone de campagne était devenu muet sitôt apparu le nuage noir tranchant sur le nuage de poussière inoffensif.
Mais lui était annonciateur non pas de tempête, mais de fuite radioactive et de contamination.

Ce qui nous a sans doute sauvé, car nous nous sommes très vite repliés en bon ordre vers la base "vie".
Alors que ceux qui sont resté sur le terrain ont été contaminés et ont souffert plus que tout autres.

Et bien plus, évidemment, que Pierre Messmer qui déclarait lors de l'émission "Pièce à conviction", magazine présenté par Evelyne Lucet : "Irradiés pour la France" diffusé sur France 3 en Décembre 2004" (durée 110 minutes).

"Personne n'a été plus irradié que moi". Et il a ajouté, très clairement :
"c'est le seul accident de toute la série des essais nucléaires français...
Il y a eu d'autres problèmes, mais ce n'a été que des incidents..."

Y assistait également, le Ministre de la Recherche Gaston Palewski, mort d'une leucémie qu'il a toujours attribué à cet accident, ainsi que le Capitaine Clavert, accompagnés par un petit groupe venu assister au spectacle : ils en voulaient sans doute pour leur argent, et ils ont eu ce qu'ils méritaient.

Le téléfilm/fiction "Vive la Bombe" de Jean-Pierre Sinapi diffusé sur Arte le Vendredi 16 mars 2007, et pas sur une chaine nationale, sur ARTE, relate de manière simplifiée le drame de ces appelés. Le Festival de la fiction télévisée de Saint-Tropez lui a décerné le Prix du meilleur téléfilm.

"Dans ce film, quatre soldats, dont trois appelés du contingent, doivent assurer une zone de sécurité autour d'un point de tir d'un essai nucléaire souterrain dans le désert du Hoggar, en 1962, après les accords de paix. Mais un nuage atomique s'échappe lors de l'explosion et se dirige vers les quatre soldats. "

Jean-Pierre Sinapi ... s'est inspiré d'un fait réel. Les soldats, contaminés, ont été placés au secret pendant neuf mois et n'ont jamais pu obtenir réparation de l'Etat français.

Curieusement, c'est l'histoire de ce tir Béryl complètement foireux du 1er Mai 1962 à In Eker qui a été le plus médiatisée.

Le téléfilm réalisé réduit d'ailleurs le nombre de victimes "immédiates" à 4 seulement, alors qu'en réalité il y en avait 9, et qu'on ne fait pas apparaître le nombre réel de personnes irradiées ou contaminées sur le site pendant ou après l'essai, ou encore le nombre victimes à retardement.

Comme si on cherchait à occulter les 141 tirs avec leur centaine de mégatonnes dispersée dans la nature, mais pas perdue pour tout le monde...

Cela est du certainement à la présence de Pierre Messmer, Ministre des Armées, et de Gaston Palewski, Ministre d'Etat chargé de la Recherche Scientifique.

"Le téléfilm a été projeté au Sénat le 20 février 2007 en présence de sénateurs et députés.
Michelle-Alliot Marie, alors Ministre de la Défense, a fait savoir qu'elle ne pouvait lever le Secret-Défense, sauf pour quelques scientifiques qui auraient accès aux archives...".

Sans doute pour éviter que trop de gens soient contaminées par elles !
-
Et moi, et moi, et moi. Je parle en votre nom à tous !

Ah, j'oubliais, j'étais jeune Sous-lieutenant, et le Capitaine Clavert, c'était mon Capitaine.

Ô capitaine, mon capitaine !


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Références

D'après : http://nucleaireforum.free.fr/forum/viewtopic.php?t=206&postdays=0&postorder=asc&start=15,

Forum nucléaire - Désobéir :: Voir le sujet - C'est beau l'idéalisme!

suite de : http://nucleaireforum.free.fr/forum/viewtopic.php?t=206&start=0.

Message de CHEVET Robert, Invité, Posté le: Jeudi 27 Sep 2007, 18:33

http://www.aven.org/aven-accueil-presentation-temoignages-veuve-colonel-clavert
: Temoignages de la veuve du colonel Clavert (AVEN)

http://amis-pic-laperrine.forumpro.fr/historique-f1/beryl-1-er-mai-62-t543.htm
: Béryl 1 er mai 62

http://www.avas.free.fr/aventure/lrba/diamant/pierres%20precieuses/pierres%20precieuses.htm
: Les Pierres précieuses

http://www.ordredelaliberation.fr/fr_compagnon/743.html
: Gaston Palewski

http://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Messmer
: Pierre Messmer - Wikipedia

http://fr.wikipedia.org/wiki/Gaston_Palewskibr /> : Gaston Palewski - Wikipedia

http://www.distribution-iode.com/ : Cherche dans Google : distribution iode

http://fr.wikiquote.org/wiki/Le_Cercle_des_po%C3%A8tes_disparus
Ô capitaine, mon capitaine !
Robin Williams, Le Cercle des poètes disparus (1989), écrit par Tom Schulman


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