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Je fais partie de ces quelques appelés du contingents envoyés en 1962 dans le Hoggar, le 26 avril, dans une région réputée encore calme, qui ont reçu une bombe sur la tête le 1er mai 1962, une bombe qui était française, et qui plus était, était une bombe atomique !
Les accords d'Évian qui avaient mis fin à la guerre d'Algérie venaient été signés le 18 mars 1962. Et on m'avait envoyédans le Sahara. Mais les accords d'Évian contenaient des clauses annexes dites " secrètes " autorisant la présence française au Sahara cinq années de plus. Voyez plutôt ce qui m'est arrivé !
J'étais Sous-lieutenant appelé sous les ordres du Capitaine Maurice Clavert à In-Eker/In Amguel, entre fin Avril 1962 et Avril 1963 et j'ai été témoin du tir BERYL, surnommé ensuite l'accident de Béryl, et j'ai contribué à étudier ses conséquences en effectuant des mesures de radiation sur le terrain fortement contaminé avec la Section de Détection de la Batterie de Détection et de Décontamination (BMDD) du 620ème Groupement d'Armes Spéciales.
L'expérimentation BERYL (Béryl) n'était pas la première explosion nucléaire souterraine française, mais la deuxième, sur une série de 13 essais, jusqu'en 1966, dont 4 ont donné lieu à des incidents, les tirs Améthyste, Béryl, Rubis, et Jade.
En fait, il s'avère que chacun des 13 tirs souterrains a donné lieu à des émanations plus ou moins importantes.
Le premier essai, nommé Agate, a eu lieu le 7 novembre 1961 dans le plus grand secret.
Les deux essais Améthyste et surtout Béryl se sont traduits par une sortie de laves radioactives. Dans les deux autres cas, Rubis, et Jade, des sorties limitées à des radioéléments gazeux ou volatils ont été observées officiellement sans expositions significatives au plan de la santé du personnel et des populations...
Je cite l'article du Monde du 17 mars 2007 accompagné d'une vidéo de France 24 de presque 10 minutes sur You Tube : Le prix de la course à la bombe nucléaire française.
http://lamouette.blog.lemonde.fr/2007/03/17/le-prix-de-la-course-a-la-bombe-nucleaire-francaise
"Le 1er mai 1962, le tir Béryl frise la catastrophe. Pour assurer le confinement de la radioactivité, le colimaçon était calculé pour que l’onde de choc le ferme avant l’arrivée des laves. Or, lors de l’essai l’obturation de la galerie a été trop tardive. Une fraction égale à 5 à 10 % de la radioactivité est sortie par la galerie, sous forme de laves et de scories projetées qui se sont solidifiées sur le carreau de la galerie, d’aérosols et de produits gazeux formant un nuage qui a culminé jusqu’aux environs de 2600 m d’altitude à l’origine d’une radioactivité détectable jusqu’à quelques centaines de kilomètres.
La trajectoire du nuage mortifère passe au-dessus du poste de commandement où étaient regroupées les personnalités et le personnel opérationnel. C’est la panique. Les deux ministres présents MM. Pierre Messmer et Gaston Palewski s’enfuient en voiture mais sont contaminés par la climatisation demeurée ouverte. De nombreuses personnes sont irradiées. 15 seulement selon les sources "autorisées" sur les 2000 personnes participant à l’essai. Elles sont prises en charge à la base et décontaminées par lavage à l’eau, rincements gastriques et coupe des cheveux. Les autorités reconnaissent toutefois que neuf personnes situées dans un poste isolé ont traversé la zone contaminée après avoir, au moins temporairement, ôté leur masque.
C’est leur péripétie qui est évoquée dans le téléfilm-fiction "Vive la bombe" diffusé par ARTE le Vendredi 16 mars 2007. Dès leur retour à la base vie, elles ont fait l’objet d’une surveillance clinique, hématologique et radiologique, avant d’être transportées à l’hôpital militaire Percy à Clamart pour surveillance et examens complémentaires. Leur suivi n’aurait pas révélé de pathologie spécifique. Quant aux populations nomades exposées, les doses reçues auraient été de l’ordre de grandeur d’une année de radioactivité naturelle (!)."
Contrairement à ce qui est écrit par le Capitaine Clavert dans son compte-rendu, l'explosion BERYL n'est pas la première explosion nucléaire souterraine française effectuée dans le massif du Taourirt Tan Afella, c'est la deuxième.
Il y en a eu 13 , toutes baptisées de noms de "Pierres précieuses", tout comme les premières fusées expérimentées au Sahara, au CIES de Colomb-Béchar, les fusées Agate (VE 110), Topaze (VE 111), Emeraude (VE121), Rubis (VE210), Saphir (VE231) et enfin Diamant.
Si l'on tient compte des quatre premiers essais nucléaires aériens effectués à Reggan, le tir souterrain BERYL est le 6ème essai nucléaire français.
D'après Pierre Messmer, fraîchement bombardé Ministre des Armées, qui y assistait et en a pris plein les narines :
"C'est le seul accident de toute la série des essais nucléaires français... Il y a eu d'autres problèmes, mais ce n'a été que des incidents..."
"Personne n'a été plus irradié que moi", a t'il déclaré lors de l'émission "Pièce à conviction", magazine présenté par Elise Lucet : "Irradiés pour la France" diffusé sur France 3 en Décembre 2004 (durée 110 minutes).
Le tir Béryl était le deuxième essai nucléaire souterrain, après le tir Agate du 7 novembre 1961.
Y assistait également, le Ministre de la Recherche Gaston Palewski, mort d'une leucémie qu'il a toujours attribué à cet accident, ainsi que le Capitaine Clavert, accompagnés par un petit groupe venu assister au spectacle : ils en voulaient sans doute pour leur argent, et ils ont eu ce qu'ils méritaient.
Et moi, et moi, et moi, affecté depuis 5 jours à la section de Détection de la BMDD, la Batterie Mobile de Détection et Décontamination du 620ème GAS !
Y en a qu'ont essayé. Y sont eu des problèmes...
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D'après la "Communauté Google Earth", qui situe les différents sites des galeries où ont été effectuées les 13 explosions, avec plus ou moins de précision et d'exactitude, on trouve des valeurs de puissance assez disparates :
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L'agenda de 1962
J'avais pris quelques notes au crayon dans un petit agenda de 1962, mais j'écrivais très mal.
C'est dans ces deux pages qu'on peut voir les missions qui précèdent et suivent les deux missions de 1er mai 1962, l'explosion Béryl, le matin, et un retour sur le site, le soir, le tout marqué d'un J majuscule : le jour J...
Le lundi 30 avril 1962, nous étions allés poser un téléphone de campagne.
Nous l'avions abandonné sur le terrain après le tir catastrophique du 1er mai...
Nous sommes le allé le rechercher 3 jours plus tard, le vendredi 4 mai 1962.
Entre temps, des missions que j'avais désignées sous l'appellation passe-partout de Missions diverses du personnel : c'est sans doute ce qui était écrit au tableau d'affichage, avec les horaires et les noms des participants et les numéros de véhicules. Je n'ai aucun ordre de mission écrit pour ces dates, même pas pour le tir !
Par contre, le Samedi 5 mai 1962, c'est l'Opération chameau, hélico interprète, un titre digne d'un film de James Bond, et qui fait l'objet d'une page séparée.
Je ne saurais situer exactement où nous nous trouvions le 1er mai 1962 : certainement au sud du Tan Afella, un peu après le début d'une piste de contournement partant vers l'ouest, peut-être à l'emplacement marqué PCP 3 sur le schéma des galeries de tir. Toutefois, il n'y avait rien de particulier à cet endroit, à l'époque.
Nous étions censés repartir vers le nord juste après le tir et pénétrer dans la galerie pour effectuer des mesures de radioactivité. J'étais équipé d'une combinaison anti poussière avec des élastiques ou du "velcro" autour du visage, des poignets et des chevilles, de gants, de bottes et d'un masque anti poussière, et j'étais muni d'un radiamètre.
Lors de la longue attente qui avait précédé l'explosion, j'avais rassemblé en tas des petits cailloux ramassés à grand peine sur le sable en bord de la piste. Dans mon idée, la secousse de l'explosion devait les faire tomber et indiquer la direction de l'épicentre. En réalité, l'onde sismique devait être verticale, et non transversale, et rien n'avait été renversé...
Placés en bord de piste, au sud du Tan Afella, nous avons ressenti la secousse sous nos pieds, après apparition du nuage de poussière qui avait recouvert la montagne. Et très vite, nous avons aperçu le nuage noir échappé de la montagne qui se dirigeait vers l'est. Ne recevant aucune réponse, le chef de la section, sans doute le chef Michèle, a donné l'ordre de retour à la base.
Je ne me souviens pas combien nous étions sur ce poste, et avec qui j'étais : Fernand Segonds sans doute, mais je n'en ai aucun souvenir... Je ne sais pas quels véhicules nous avions, je dois avoir conduit la jeep qui venait de m'être affectée, et je n'étais peut-être pas seul à bord...
Je pense que le capitaine Clavert devait être au PC de tir. Bref, un bien piètre témoin !
Nous n'avons sans doute pas eu conscience de la panique et de l'affolement qui se déroulait au PC.
Je ne me souviens pas comment nous sommes rentrés dans la base vie, sans doute après être passés au poste de décontamination. Je ne me souviens pas de consigne particulière.
Je ne me souviens pas non plus de but de la 2ème mission que j'ai effectué l'après midi. Je sais que je suis retourné sur un carreau de mine et que j'ai pénétré dans une galerie, sur quelques mètres, mais je ne me rappelle pas si c'était ce jour là. Le compteur de radiation crépitait au à l'extérieur (en fait, c'est une image, il y avait seulement une aiguille qui tressautait, mais pas de haut-parleur...), mais pas à l'intérieur de la galerie.
Impossible d'être certain qu'il s'agissait du carreau E2, bien que la présence d'un groupe électrogène reste gravée dans ma mémoire. Pas de souvenir de traces d'incendie, ou de présence de "lave". Avec le masque anti poussière, je ne devais pas voir grand chose, et mon inexpérience m'interdisait de reconnaître quoi que soit...
Impossible de me souvenir du niveau de radiation mesuré. Impossible de me souvenir combien on était pour cette mission. Je pense qu'on a fait un compte rendu oral. Je n'ai rien noté.
Simplement, le lendemain, un journal circulait avec mention de l'accident, avec un bilan annoncé de 13 morts...
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Emplacement des entrées des galeries de tir
Réf. http://www.ambafrance-dz.org/ambassade/IMG/Essais_nucleaires.SAHARA.pdf
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L'entrée E2 du tir Béryl est au nord-est, en haut du schéma
Le PCP 3 est situé au sud, sur la piste de contournement
C'est à cet endroit que la section était postée avant le tir
Nous devions repartir ensuite vers le nord juste après le tir
Et pénétrer dans la galerie pour y effectuer des mesures...
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