« J’ai vu la montagne blanchir au moment de l’explosion »
Côte-d’Or – Témoignage Guerre d’Algérie : « J’ai vu la montagne blanchir au moment de l’explosion »
Un habitant de Labergement-lès-Seurre revient sur la guerre d’Algérie telle qu’il l’a vécue. Loin des combats, mais au plus près des essais nucléaires.
«Le jour du 19 mars, on parle avant tout des combattants de la guerre d’Algérie. On parle très rarement, voire jamais, des soldats qui ont œuvré dans le cadre des essais nucléaires qui ont eu lieu au sud de l’Algérie, dans le Sahara. »
S’il veut à tout prix éviter de se mettre en avant, Guy Monichon, 74 ans, se fait aujourd’hui le porte-parole des oubliés du conflit algérien. Il poursuit : « Il ne faut pas oublier que les essais nucléaires qui ont eu lieu pendant la guerre d’Algérie ont permis de disposer d’une arme dissuasive ».
Des ennemis, en Algérie, le retraité n’en a « jamais vu ». Il raconte : « En 1957, je travaillais dans une entreprise américaine, la compagnie géophysique Rogers. Après un passage en France, Je suis revenu à Reggan en 1959, pour les premières explosions. Je faisais partie du 11e régiment du génie saharien, qui préparait notamment les pistes d’accès ou d’atterrissage. Tous les civils de la région ont été déplacés, pour laisser la place à l’armée et aux essais nucléaires. »
Guy Monichon poursuit : « On a assisté aux premiers tirs à l’air libre, à Reggan, avant de gagner In-eker, près de Tamanrasset, pour les tirs souterrains. Là encore, on préparait le terrain pour que les techniciens du nucléaire aient de quoi faire leur travail. Sur aucun des deux sites, on n’a bénéficié de protection. C’était encore plus dangereux à Reggan qu’à In-eker, où nous n’avions pas à réparer les galeries : à Reggan, on a dû ramener aux ateliers le matériel exposé aux radiations lors des tirs sans qu’il soit décontaminé. »
Alors que le retraité a 70 ans, son médecin part à la retraite. Apprenant son histoire, son nouveau médecin lui conseille de faire des analyses, qui établissent que Guy est atteint d’un cancer du pancréas. Ce dernier précise : « J’ai ensuite été opéré d’un cancer du colon. J’ai demandé des explications à l’armée, car je n’ai pas été le seul à avoir ces ennuis. On m’a envoyé mon livret médical militaire et on m’a répondu qu’il n’y avait eu que 436 individus contrôlés, alors que nous étions des milliers sur place. À l’époque, on ne mesurait pas les risques, on ne nous disait rien. Il nous arrivait de retrouver sur des véhicules des pièces de métal fondues. À In-Eker, j’ai vu la montagne blanchir au moment de l’explosion. On nous a juste conseillé de nous cacher les yeux. »
Le septuagénaire conclut : « Pour moi, le fait d’avoir participé, d’une certaine façon, à ces essais nucléaires, est important. Il fallait le faire. On n’a pas beaucoup de rapports avec ceux qui ont fait la guerre contre les fellagahs, on n’a pas vécu la même chose. Je suis persuadé qu’on a fait durer la guerre d’Algérie car il y avait beaucoup d’intérêts en jeu. Le pétrole, mais aussi ces essais nucléaires. On aurait pu leur donner l’indépendance sans faire la guerre. »