Vétérans à la santé fragile
Suite à la réunion du samedi 14 Mars 2015 au Palais des Congrès 73 rue Toufaire 17300 Rochefort
Article du: sudouest.fr Publié le 17/03/2015 par: David Briand (d.briand@sudouest.fr)
Anciens militaires, ils ont assisté aux essais nucléaires français en Algérie ou en Polynésie. Certains d’entre eux sont malades.
Agé de 77 ans, Guy Canuel vit aujourd’hui dans l’île d’Oléron. Samedi, lui et d’autres anciens militaires étaient réunis à Rochefort pour la réunion départementale de l’Association des victimes des essais nucléaires (Aven, lire par ailleurs). Il y a cinquante-sept ans, Guy Canuel, militaire du contingent attaché au génie, a été affecté en Algérie pour monter le premier site d’essais nucléaires français. À Reggane où était implanté le centre saharien d’expérimentations militaires.
Il a assisté au premier essai, tiré le 13 février 1960. Il s’en souvient très bien. Au standard, c’est lui qui a prévenu le commandant de la base que, « dans deux minutes, ça va péter », se rappelle-t-il. Il était situé à 40 km du tir. Habillé « en chemisette et short ». Un défaut de protection sur lequel il s’interroge aujourd’hui.
Bien des années plus tard, en 1984, il a commencé à avoir des problèmes cardiaques, puis une dizaine d’années après, à être suivi par un cancérologue pour des lymphomes. « Pour le moment, il me dit que je ne souffre pas, donc on ne fait rien. Juste de la surveillance. »
« Ouverture de la baignade »
À une génération d’écart néanmoins, des problèmes de santé plus graves ont touché les trois filles de Guy Canuel. « Elles ont toutes fait des fausses couches pour leur premier enfant. » L’une d’entre elles a accouché plus tard de deux jumelles mort nées puis de deux jumeaux, dont un seul a survécu. Et ce n’est pas le seul ancien vétéran des essais nucléaires dont les enfants souffrent de problèmes de santé.
Quelques années après avoir été à Mururoa lors de sept essais (entre 1974 et 1975), Patrice Suchocki a donné naissance à une fille handicapée. « Je me souviens qu’après les tirs, alors que les requins et les poissons étaient morts, on nous disait “ouverture de la baignade”. » À 60 ans, il est aujourd’hui artiste-peintre à Corme-Royal.
L’Angérien René Martin, 68 ans, a connu la base de Reggane, mais à la fin de son existence : « De septembre 1966 jusqu’à son déménagement, et pas démantèlement », précise-t-il. Si le dernier des quatre essais aériens à Reggane a été effectué cinq ans avant, en 1961, à son retour du service en métropole, il dit avoir été « fatigué pendant deux ans, jusqu’au jour où j’ai eu la jaunisse ». Aujourd’hui, il ne s’estime pas « le plus atteint » mais a adhéré à l’association « sur la base d’un comparatif » : « Dans ma classe d’âge du lycée, il n’y a qu’une personne décédée. À la même échelle, ils sont la moitié pour les anciens vétérans ». André Soulice, 72 ans, de Pons, appelé du contingent, a connu les essais souterrains qui ont été pratiqués dans le désert du Sahara, au sud de l’Algérie. « J’étais radiotélégraphiste dans le 620e groupe d’arme spéciale », énonce-t-il. Attaché à la batterie mobile de détection et de décontamination, il est resté d’octobre 1962 à juin 1963, la veille de ses 21 ans.
Portes blindées défaillantes
« Pour nous former, le 18 février 1963, on nous a emmenés sur les lieux de l’explosion de la première bombe française à Reggane. C’était très impressionnant. Il restait des superstructures de radars pour voir l’effet de souffle. À la place d’une tour de 100 mètres, il y avait un énorme trou. »
André Soulice se remémore un détail glaçant. « Il y avait du sable fondu et vitrifié sur 800 mètres autour ».
Il a assisté à deux tirs souterrains : Émeraude, le 18 mars 1963 et Améthyste, le 30 mars de la même année. Un incident s’est produit sur le second. « Les portes blindées ne se sont pas fermées. »
Positionné à « 1,5 kilomètre » à l’air libre avec « une tenue blanche » et ce qu’il appelle un « groin », c’est-à-dire un masque, il a « mis les bouts » avec ses collègues. Les moteurs des camions tournaient au cas où… André Soulice est « parti avec les scientifiques suivre le nuage jusqu’au Mali et peut-être même plus loin. »
Revenu « anémié » en métropole. Il a pris des fortifiants. Près de quarante ans plus tard, « on m’a sorti l’hypophyse dans un hôpital de Bordeaux. On m’a dit que j’avais une maladie rare qui ne concernait pas un cas par an, ni à Saintes ni à La Rochelle ». Il souffrait de maux de têtes « depuis vingt ou trente ans » et de pertes d’équilibre. Il y a deux ans, c’est « un kilogramme de foie qu’on m’a sorti ».
Le septuagénaire « va essayer d’établir un dossier » pour obtenir une indemnisation. Employé dans la chaudronnerie, il a dû arrêter de travailler à 50 ans.