Conséquences sur la santé des essais nucléaires français Résultats sur 1800 questionnaires Dr Jean-Louis Valatx
Introduction La France a effectué 210 essais nucléaires dont 50 atmosphériques tant au Sahara algérien qu’en Polynésie française. Le rapport de l’Office parlementaire de l’évaluation des risques scientifiques et technologiques (février 2002), indique que “les effets ont été limités, même si, quarante plus tard, des hommes se plaignent d’hypothétiques effets sur leur santé. […]
Toutes ces conséquences sont dérisoires comparées à celles, aujourd’hui difficilement mesurables, des essais réalisés par les deux grandes puissances à partir de 1945.” Cependant, la Commission d’enquête de l’assemblée de la Polynésie française a révélé en février 2006 que les essais français n’ont pas été aussi “propres” que l’affirment le ministère de la défense. En effet, elle a publié 25 rapports classés “secret-défense” démontrant que l’ensemble des îles et atolls habités a subi d’importantes retombées radioactives. Devant l’absence de publication des listes nominatives des personnels, aucune étude épidémiologique ne peut être effectuée. Aucun rapport officiel sur la santé des personnels après les essais nucléaires n’a été publié. L’estimation officielle du nombre des personnels affectés sur les sites d’expérimentation sahariens et polynésiens est de 150 000. Devant cette carence, l’AVEN a réalisé une enquête de santé auprès de ses adhérents afin d’estimer l’impact des essais nucléaires sur le déclenchement de pathologies et l’incidence sur la descendance.
Méthodologie Le questionnaire comporte 40 questions et permet de faire le point sur la situation militaire ou civile du Vétéran. Des questions sur les maladies, les opérations essaient d’estimer son état de santé et celui de sa famille.
Résultats 1.- Caractéristiques des personnes répondant au questionnaire Les résultats ont été établis à partir de 1800 questionnaires remplis par les adhérents, ce qui représente actuellement 59% de réponses. Ceux qui ont répondu au questionnaire sont des appelés du contingent, des engagés, des militaires de carrière, des ingénieurs, techniciens et administratifs du C.E.A. et des techniciens d’entreprises sous-traitantes.
2.- Pathologies En ce qui concerne les pathologies, seulement 09.5% des vétérans estiment qu’ils sont en bonne santé et ne signalent aucune maladie.
2.1- Pathologies cancéreuses Parmi les vétérans malades, 639 vétérans (35.03%) signalent de 1 à 3 cancers primitifs différents. Les cancers les plus fréquents sont les cancers du sang (21.7%), du poumon (18%), de l’appareil digestif (15.3%), de la bouche (13.6%), génito-urinaires et de la peau. Les vétérans qui ont participé aux tirs aériens présentent 73% de tous les cancers. L’âge moyen des vétérans au diagnostic du premier cancer est de 51.6 ± 10.3 ans représentant 74% des vétérans de moins de 60 ans. Parmi ces cancers, 258, soit 40.3%, ont entraîné le décès du vétéran. En considérant l’âge des vétérans décédés, 26.6% avaient moins de 50 ans et 63.6% ont moins de 60 ans.
2.2.- Pathologies non cancéreuses Pour les pathologies non cancéreuses, 82.5% des vétérans indiquent une ou plusieurs maladies. Les pathologies cardio-vasculaires sont les plus fréquentes (17.0%), puis viennent les affections digestives (13.0%) et les affections des os et de muscles (9%). Les maladies de peau, souvent atypiques, représentent 6.9% des pathologies ; les maladies neurologiques et psychiatriques, 7.8%. Concernant l’âge de survenue de ces pathologies, 36% des pathologies surviennent avant 30 ans, 76% avant 50 ans. 3.- Descendance 265 (18.8%) vétérans mentionnent que leur femme ou compagne a eu une ou plusieurs fausses couches. Concernant la descendance, 592 vétérans (32.9%) n’ont pas d’enfants. 25% d’entre eux signalent une stérilité par anomalie du sperme. Pour les autres, 3022 enfants (2.1 par famille) sont nés en moyenne 4.5 ± 3.5 ans après les essais (minimum quelques mois, maximum 21 ans). Parmi les 3022 enfants nés après les essais, 405 enfants (13.4%) présentent des anomalies congénitales plus ou moins importantes (surdité ou cataracte, squelettiques, ectopie testiculaire, malformations cardiaques ou rénales, trisomie 21, …) et 689 enfants (22.8%) des maladies (allergies, stérilité, troubles hormonaux, retard mental, épilepsie, …). 23.5 pour mille des enfants sont décédés à la naissance ou au cours de la première année de vie. Ce chiffre représente plus trois fois la mortalité infantile en France.
Conclusions Les résultats de notre étude indiquent que la santé des vétérans a été atteinte d’une manière importante par des maladies cancéreuses et non cancéreuses. Malgré les critiques qui peuvent être formulées, nos résultats, comparés à ceux des Britanniques, indiquent des pourcentages similaires. Ainsi, les essais français ont été aussi “propres” que les essais anglo-américains. En l’absence de dosimétrie fiable (externe par badge et interne par gamma-spectrométrie), une étude au cas par cas ne peut être réalisée, ni une étude cas témoin, ni une enquête épidémiologique rétrospective car la population des vétérans n’est pas connue nominativement. Récemment (rapport AIEA n°405, 2001), la dosimétrie biologique, basée sur les anomalies chromosomiques des lymphocytes (chromosomes dicentriques, translocations), permettrait d’estimer la dose reçue même 30 à 40 ans après l’irradiation ou la contamination, à condition que la personne n’ait pas reçu de radiothérapie ou de chimiothérapie. Mais, l’IRSN (Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire), seul laboratoire français à le pratiquer officiellement, affirme que cette méthode n’est pas valable 10 ans après l’exposition, bien qu’il aient des preuves scientifiques contraires comme la publication médicale de Violot et al. (2005) et le récent rapport (2007) d’Al Rowland qui a effectué ces tests sur 50 vétérans néo-zélandais qui avaient participé aux essais nucléaires britanniques. Ces résultats représentent un argument important pour demander que le ministère de la Défense publie rapidement la liste nominative de tous les personnels civils et militaires qui ont été présents sur les sites d’expérimentation atomiques (Sahara et Polynésie) afin de réaliser une véritable étude épidémiologique rétrospective pour établir d’une manière certaine les effets sur la santé des essais nucléaires et d’en tirer les conséquences : responsabilité de l’État, vote d’une loi établissant la présomption d’origine des maladies et la création d’un fonds d’indemnisation. Avec cette liste nominative, le ministère de la défense devrait instituer un suivi médical des personnels et de leurs familles et rechercher la dosimétrie biologiques de tous les Vétérans.